En réponse à un tableau ayant buzzé sur internet suggérant qu’un ménage sans emploi touchait plus qu’un autre touchant le salaire minimum, Léon Régent et Jean-Eric Hyafil se sont plongés dans la complexité du système fiscal et social Français. Ils concluent que les politiques de l’emploi en France sont plus coûteuses que les aides aux familles pauvres. Leur démarche illustre au passage la nécessité de rendre le système plus simple et plus clair.
Depuis un certain temps, ce tableau suggèrant qu’un ménage sans emploi s’en sort mieux qu’un ménage touchant le Smic circule sur internet :
Ce tableau, partagé près de 100.000 fois sur facebook, a provoqué l’indignation générale de nombreux de nos concitoyens.
Une rumeur erronée
Bien entendu, ce tableau est erroné, et pour le prouver, nous avons décidé de rechercher les vrais chiffres. Facile à dire, mais nous avons dû plonger dans l’enfer de la complexité administrative pendant plusieurs jours pour commencer à y voir clair. Vous trouverez dans ce document (pdf) le détail du travail qui nous a permis d’arriver au tableau rectifié suivant :
On voit donc bien combien le tableau est erroné.
L’Etat dépense plus pour l’emploi que pour les aides sociales.
Pour un travailleur au SMIC, ces exonérations s’élèvent à 371,83 € par mois, soit 4.462 € par an1. Si l’on ajoute à ces exonérations la prime pour l’emploi dont bénéficie un Smicard vivant seul (773 € par an), on trouve que l’Etat dépense plus pour ce Smicard que pour un RSAste vivant seul (425 €, une fois le forfait logement déduit, ou 5.103 € par an).
Sur le plan global, on dépense effectivement plus en France pour l’emploi que pour les familles démunies. Les exonérations de cotisations sociales (Fillon) coûtent prêt de 20 milliards d’euros par an2, un chiffre à comparer avec les 9,2 milliards de dépense pour le RSA3.
Qui aider et pourquoi ?
La réduction Fillon a pour objectif d’encourager l’emploi des travailleurs peu qualifiés sur des postes à bas salaire. Or il n’a jamais été démontré que ces exonérations avaient permis de créer des emplois. Il est ainsi fort possible que ces exonérations ne soient qu’une aubaine pour les employeurs bénéficient qui voient ainsi baisser le prix du travail.
Par ailleurs, si l’on subventionne autant l’emploi en France, c’est bien que nous sommes dans une situation de chômage de masse persistante depuis 40 ans, avec une très forte diminution des emplois peu qualifiés (mais aussi qualifiés) liée à l’automatisation des tâches, à la révolution du numérique ou plus généralement à l’essoufflement d’une société de croissance. On ne peut pas alors faire le constat de la baisse de l’emploi en France tout en accusant les bénéficiaires du RSA de ne pas chercher d’emploi.
Si le système est flou, simplifions-le !
Notre proposition, c’est d’universaliser et d’automatiser les allocations. C’est ce que permet le revenu de base, qui est un droit :
- universel : tout le monde le touche et il est cumulable avec les revenus d’activité ou du patrimoine,
- inconditionnel : aucune démarche n’est nécessaire et l’on n’a pas à prouver que l’on recherche un emploi.
- individuel : c’est l’individu qui le touche.
Financé par un impôt proportionnel et sans exonérations dès le premier euro gagné, il a des caractéristiques redistributives proches du système complexe qu’il remplace. Car le revenu de base (avec un taux adulte et un taux enfant) se substitue à de nombreuses aides et exonérations : RSA, prime pour l’emploi, exonérations Fillon, allocations familiales, complément familial, quotient familial4…
Les deux tableaux suivants montrent qu’un revenu de base à 400 € par adulte et 200 € par enfant ne bouleverse pas la redistribution opérée par le système actuel. Ce qui n’empêche pas d’imaginer une redistribution plus importante en versant un revenu universel de 500 € ou 600 € par adulte afin d’accroître l’autonomie des individus, de réduire la pauvreté, de relancer la demande dans un contexte de chômage de masse.
Certains diront que ce revenu de base augmente l’impôt sur les ménages moyens ou aisés. C’est vrai pour un revenu de base à 500 € ou 600 €. Mais avec un revenu de base à 400 €, c’est faux si l’on considère l’impôt net, à savoir l’impôt dont on déduit le revenu de base perçu par le ménage5. De fait si un prélèvement à la source mensuel était mis en œuvre, chacun pourrait comparer en pleine transparence le Revenu de Base qu’il reçoit et l’impôt qu’il paye.
Bien entendu, l’introduction d’un revenu de base doit être accompagnée par d’autres mesures de réforme du système redistributif (suppression des exonérations Fillon et basculement des cotisations non-contributives – notamment les cotisations Santé – vers la CSG, etc.). Ces propositions ont été détaillées par Marc de Basquiat dans l’un des ouvrages les plus remarquables sur le revenu de base en France . Si vous voulez tester différentes hypothèses pour différents cas types, vous pouvez d’ailleurs visiter le site allocationuniverselle.com ainsi que le site web de Léon régent.
“La complexité du système dépossède le citoyen”
Notre analyse illustre que la complexité du système d’allocations sociales dépossède le citoyen de sa capacité de comprendre et permet de lui faire croire n’importe quel mensonge. De plus, nombre d’ayants droit, qu’ils travaillent ou non, ne sollicitent pas tout ce à quoi ils ont droit – ici, ce sont les deux tiers des candidats potentiels au RSA activité qui ne le demandent pas. Enfin, la gestion administrative de ce système coûte cher.
Parce qu’il est complexe, illisible et incompréhensible, le modèle social Français renforce les jalousies, les suspicions envers ceux qui se complairaient dans l’assistanat et l’auto-exclusion de ceux qui devraient en bénéficier. Cette complexité permet d’entretenir une opposition entre travailleurs et sans-emplois – dangereuse politiquement – alors même que l’Etat dépense finalement autant pour les uns que pour les autres.
En déclarant que l’accès à un revenu de base est un nouveau droit, on ne permettrait pas seulement d’entériner une évolution sociale liée au fait que l’on a besoin de moins de travail pour satisfaire l’essentiel des besoins marchands. On réconcilierait surtout la France des travailleurs avec la France qui n’a pas de travail “marchand”. On construirait une réelle fraternité… il est temps !
Crédit image : CC unk’s dump truck
Notes :
1 Calcul pour une entreprise de plus de 20 salariés. Pour une entreprise de moins de 20 salariés, ce serait 402 € par mois ou 4.823 € par an.
2 Voir http://www.securite-sociale.fr/PLFSS-2013-et-annexes ?focus_article=oui, l’annexe 5 du PLFSS.
3 Voir http://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/Publication_globale(1).pdf
4 Nous n’avons pas fait le choix d’absorber les aides pour le logement dans le revenu de base.
5 En fait, les principaux perdants sur revenu de base à 400 € sont les familles nombreuses aisées (qui perdent l’avantage du quotient familial) tandis que les principaux gagnants sont les couples avec enfants ayant un revenu modeste ou moyen (puisque l’aide est individualisée et qu’elles perçoivent un revenu de base enfant dés le premier enfant). Les familles monoparentales quant à elles peuvent être perdantes. C’est pourquoi nous estimons nécessaire de maintenir l’allocation de soutien familial pour les familles monoparentales.
Il est bien l’article.
Mais y’a quand meme eu près de 100 000 coups de boules qui se sont perdus dans cette histoire.
Good Job !!!
Bonjour,
et au delà de 600€ c’est pas possible ???
Si, ce serait possible. Ca impliquerait une hausse du taux de prélèvement obligatoire, donc la question devient politique : à quel point les citoyens acceptent-ils une hausse des prélèvements obligatoires.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’on maintient les APL, donc pour celui qui touche le max d’APL, ça fait 600 € + 250 € = 850 €. Si l’on veut un revenu de base plus élevé, il faudra je pense qu’il absorbe les APL, ce qui ne bénéficiera pas aux plus modestes mais aux autres, notamment les propriétaires de leur logement
Pour les APL, n’a-t-on pas déjà le même problème avec le système actuel ?
L’idée communément admise est que les propriétaires d’un logement APL en profitent pour hausser un peu leur prix, ce qui fait que l’aide leur profite au moins autant qu’au locataire.
La question des APL est complexe est mériterait un article à part. Ce que vous dites est probablement vrai, mais très difficile à vérifier.
[…] Les mensonges de l’aide sociale sur ce lien […]