L’annonce du dépôt des 126.000 signatures de l’initiative fédérale suisse pour le revenu de base inconditionnel a déclenché un buzz mondial. Mais qu’en est-il du montant du revenu de base qui sera soumis à votation ? Bien que l’initiative ne le précise pas, le montant de 2.500 francs suisse (2000 euros) est souvent évoqué. Explications par Ralph Kundig, président de BIEN-Suisse.
De Moscou à Pékin en passant par São Paulo, New York et ailleurs encore, l’annonce du dépôt des 126.000 signatures de l’initiative fédérale suisse pour le revenu de base inconditionnel a déclenché un séisme mondial. Cette nouvelle que les citoyens d’un pays allaient pouvoir se prononcer sur une mesure aussi radicale de simplicité pour éradiquer la pauvreté a en effet doublement étonné les médias du monde entier. D’une part, à cause de la nature surprenante de la proposition, et d’autre part, à cause du pouvoir qu’a le peuple dans notre pays de prendre de telles décisions et de décider ainsi de son destin.
Mais contrairement à ce qu’on a souvent pu lire dans la presse mondiale et sur internet, les citoyens suisses ne voteront pas sur la mise en place d’un revenu de base de 2’500 francs. L’initiative fédérale ne propose en effet qu’une loi de principe, sans autre précision sur son application et, a fortiori, sur le montant du revenu de base. La seule précision indiquée est que le montant doit « permettre à l’ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique ».
Le montant du revenu de base ainsi que les différentes modalités pratiques seront définis par le Parlement fédéral dans une loi d’application soumise au référendum facultatif. Les étapes sont les suivantes : le Conseil fédéral (pouvoir exécutif) va d’abord étudier le texte de l’initiative avant de le soumettre au Parlement, avec ses commentaires et sa recommandation sur la suite à lui donner. Ensuite seulement, le peuple souverain sera appelé à voter sur l’initiative.
En cas de vote positif, le Parlement édictera une loi d’application qui définira notamment le calcul du montant du revenu de base. Il tiendra compte de l’avis du comité d’initiative, des partenaires politiques, économiques et sociaux, et bien sûr, des 126’000 citoyens qui ont signé l’initiative sur la base d’un montant de 2’500.- Frs. Une fois promulguée, la loi sera soumise au référendum facultatif. Le peuple pourra ainsi se prononcer une seconde fois, non plus sur le principe, cette fois-ci, mais sur ses modalités pratiques – un montant jugé trop haut ou trop bas, par exemple.
Alors pourquoi ce montant de 2’500 francs est-il évoqué partout alors qu’il n’est pas spécifié dans l’initiative ? Ce chiffre ne sort pas de nulle part : c’est celui que nous avons communiqué tout au long de la campagne de signatures pour illustrer ce que nous entendons par un revenu suffisant pour permettre une existence digne.
Beaucoup d’observateurs internationaux se sont extasiés devant la générosité d’un tel revenu de base… Il est vrai que ce montant, converti en euros ou en dollars, semble fort alléchant pour nos concitoyens du monde. Mais, comme nous allons le voir, il faut mettre ces 2’500 francs suisses (2’000 euros) en perspective avec le coût de la vie en Suisse.
En fait, ce montant s’inspire des normes établies par la Conférence Suisses des Institutions d’Action Sociale (CSIAS) qui définissent le seuil de pauvreté et les composantes du revenu mensuel minimum nécessaire pour une personne seule de la façon suivante : un forfait d’entretien (± 1’000 Frs), les frais fixes pour un logement modeste (dans le cadre des coûts habituels du marché) et pour les primes de l’assurance maladie obligatoire (±400 Frs de charge individuelle, non couverte par les cotisations sociales), auxquels s’ajoutent des frais circonstanciels comme la partie à charge des frais médicaux, des frais dentaires, de lunettes, etc. Le montant du revenu minimum nécessaire n’est donc pas le même pour une personne ou pour une autre. Il va également différer dans sa moyenne d’un canton à un autre, à cause des différences régionales du coût de la vie (centres urbains versus régions périphériques).
En Suisse, un revenu de base de 2’500.- ne permettrait donc que de financer un train de vie modeste, et cela d’autant plus dans les grands centres urbains, en raison de leurs loyers plus élevés (à moins que la migration d’une partie des populations concernées vers des régions aux loyers plus accessibles conduise vers un rééquilibrage sur le marché du logement). Par ailleurs, comme ce montant correspond au seuil de pauvreté et qu’en Suisse, pratiquement toute la population légalement établie dispose déjà d’un tel montant de revenu, soit par son travail, soit par transfert social, soit par transfert familial, un revenu de base de 2’500.- ne devrait pas représenter une charge supplémentaire pour l’économie. Il s’agit d’une simple redistribution individuelle et formelle de revenus existants.
Un point de comparaison : le revenu médian
Enfin, une meilleure manière de comparer ce que nous proposons en Suisse est de comparer ce que représentent 2’500 francs par rapport au revenu médian des Suisses, c’est-à-dire environ 60 %. Ainsi, en effectuant par exemple le même rapport sur le revenu médian en France qui était d’environ 1650 euros en 2011, on obtiendrait un revenu de base équivalant à environ 1000 euros. On est donc loin des 2000 euros que l’on obtient en effectuant une simple conversion de devises !
Alors quoi ? Le rêve d’un revenu de base généreux et suffisant pour vivre n’existe donc pas, même en Suisse ? Généreux, peut-être pas, mais suffisant pour vivre, si bien sûr ! C’est ce qui est inscrit dans le texte de l’initiative et l’un de ses principes incontournables, avec son caractère inconditionnel, individuel et universel. Ce sont ces principes indissociables de toute mise en place d’un véritable projet de revenu de base.
Au final, tout découle de là. Si nous admettons que chacun de nos concitoyens a droit à un revenu suffisant pour vivre et participer dignement à la vie sociale, simplement parce qu’il existe, alors nos sociétés auront réalisé un véritable progrès. La fixation du montant du revenu de base et son financement ne seront à ce moment-là plus qu’une simple question technique.
Crédits images : Kopf oder Zahl
Vous avez raison sur toute la ligne. Mais je vous rappelle que le RDB, c’est PAR PERSONNE.
Et un couple qui perçoit 5’000.-, ça, c’est beaucoup.
Le calcul risque donc de s’avérer assez compliqué.
Oui, vous avez raison, le caractère individuel du revenu de base inconditionnel fait partie de ses principes de base. Quant au calcul, il est beaucoup plus simple que de savoir ce que coûte nous réellement les prestations sociales actuelles…
Et vous avez encore raison sur le point qu’un des effets du RBI est que par rapport à maintenant, il avantage clairement les cellules familiales et autres partenariats de vie commune. Mais là aussi, il faut pondérer la somme de 5’000.- francs suisses avec le coût de la vie dans ce pays.
Article très intéressant qui met en relief le fait que la seule mise en place d’une RDB ne garantit pas une égalité de fait. Comme l’illustre le commentaire de Thierry, la raison principale en est que les charges fixes diffèrent toujours pour diverses raisons que ce soit les économies d’échelle réalisées par une famille par rapport à un célibataire ou le fait de devoir payer un loyer ou non pour se loger.
Dans ce RDB, il me semble que les célibataires sans enfants sont floués autant que dans le système actuel.
L’égalité réelle ne pourra donc jamais être atteinte en attribuant un même montant par tête de pipe mais par a mise en place d’un système où un effort égal est à fournir pour accéder aux besoins de base, choisir et construire sa destinée. Cet effort n’est pas le même selon qu’on est héritier ou que l’on a que sa force de travail (avec ou sans RDB). Un projet sous-tendant la recherche d’une meilleure égalité devrait donc également ou plutot s’intéresser à la question de la transmission des patrimoines privés.
L’égalité parfaite n’existe nulle part dans la nature et est un fantasme humain que le RBI ne prétend pas réaliser. Il s’agit simplement d’une proposition pour fixer une certaine limite à l’inégalité économique. Cela n’empêche nullement d’instaurer d’autres mesures qui vont dans le même sens. Un impôt sur la succession pourrait même être envisagé parmi les modes de financement retenus.
La mise en place d’un système qui mesure l’effort à fournir pour accéder aux besoins de base, choisir et construire sa destinée me parait par contre pas très différent des méthodes de nos systèmes sociaux actuels. Le problème avec ce genre de méthode est que cela demande de mesurer et de contrôler l’effort produit. Cela implique donc une lourde surveillance, arbitraire, contraignante et humiliante, qui en fin de compte, passe complètement à côté du but recherché, parce que personne n’est non plus égal dans sa capacité à contourner une règle ou une loi.
Mais en revanche, il ne faut pas sous estimer le potentiel transformateur de société du RBI. Souvent vu seulement comme un moyen de limiter la précarité, on néglige ainsi l’impact psychologique et sociologique attendu du fait qu’il éradique notre peur de la misère absolue. Cette nouvelle sécurité devrait donner à chacun les moyens de penser et construire sa vie autrement qu’aujourd’hui. La peur et le manque de temps pour penser de la population sont en général les conditions requises pour l’empêcher de remettre en question son système de société…