Trop bien, le revenu de base au 20 heures de France 21 mercredi dernier ! Une audience en hausse de 1,1 point avec 21,1 % de part de marché pour David Pujadas ! 5 240 000 spectateurs2 ! Du jamais vu pour le revenu de base. Pour nous, au MFRB, qui militons depuis bientôt trois ans pour faire connaître ce projet de société, on a (presque) pris ça pour une consécration.
Comme l’a déjà écrit Marc de Basquiat3, le reportage sur la Finlande signé Amaury Guibert et Brice Boussouar était bien structuré et fort intéressant. Même s’il contient quelques imprécisions. Ainsi, il est intéressant de noter que le projet d’expérimentation d’un revenu de base n’occupe qu’une ligne dans les quatre-vingt pages qui composent le programme du nouveau gouvernement4. Pour Juha Sipilä, le nouveau premier ministre finlandais, « un revenu de base signifie la simplification du système de sécurité sociale ». L’intention est louable mais ne s’agirait-il que de faire des économies ? L’étude qui vient d’être confiée à un groupe de chercheurs est commanditée par la ministre des affaires sociales et de la santé, Hanna Katariina Mäntylä. Celle-ci est aussi vice-présidente du Parti des vrais Finlandais, un parti populiste, hostile à l’immigration, classé à l’extrême droite5. Un parti connu en Europe pour son opposition virulente aux plans d’aide au Portugal et à la Grèce. De quoi légitimement s’interroger sur leur vision sociale.
Garantir que tout le monde gardera le même niveau de vie
D’autant que le gouvernement finlandais ne semble pas unanime au sujet du revenu de base. Ainsi, Joonas Rahkola, présenté dans le reportage comme économiste à l’association des syndicats finlandais, est aussi l’un des principaux conseillers du ministère des finances. Lorsqu’il déclare qu’il n’est pas possible de « mettre en place ce revenu universel et garantir en même temps que tout le monde gardera le même niveau de vie, quelle que soit sa situation », il pense sans doute aux fonctionnaires membres de son syndicat. « Avec un revenu de base, toutes les autres ressources de transfert, comme les allocations familiales, les bourses d’étudiant ou les allocations chômage, cesseraient. Cela signifierait un énorme changement dans l’administration. Seules quelques personnes seraient nécessaires pour gérer un système de revenu de base. »6 Que faire de ces fonctionnaires dans un pays où plus d’un quart de la population est syndiqué et entend défendre ses droits ?
L’étude qui vient d’être lancée pose aussi des problèmes de constitutionnalité. Selon un article publié récemment par BBC World7, « le Premier ministre a exprimé son soutien pour une expérience géographique limitée. » Il serait ainsi envisagé de « tester l’idée en versant à 8.000 personnes appartenant à des groupes à faible revenu quatre montants mensuels différents, compris entre 400 et 700 euros. » Selon Ohto Kanninen, du centre de recherche Réservoir, « si l’impact sur l’emploi lors de l’expérience se révélait catastrophique, le revenu de base ne pourrait évidemment pas être mis en œuvre à plus grande échelle ». Car l’un des obstacles à l’organisation d’une expérimentation est la constitution finlandaise, stipulant que tous les citoyens doivent rester égaux. « Même une expérience à petite échelle mettrait ses participants dans une position d’inégalité. Les finlandais sont-ils prêts à renoncer à ce principe de l’égalité, si cette expérience fournit des informations utiles pour la société ? » s’interroge Kanninen. C’est aussi à ces questions que l’étude lancée par le gouvernement devra d’abord répondre. Et c’est pourquoi, conclut-il, « il ne pourra pas lancer la moindre expérimentation avant 2017. Et d’ici là, de l’eau peut encore couler sous les ponts… »
Au MFRB, nous partageons bien sûr le souhait de M. Lehto, président du BIEN-Finlande, qui espère que « ces travaux conduiront à la mise en place du revenu de base. » Mais, comme lui, nous restons très vigilants sur l’avancée du projet et surtout sa future expérimentation en 2017. Qui seront les gagnants et les perdants de la réforme si elle voit le jour ? Un revenu de base qui, bien que fixé à un niveau d’apparence élevé, viendrait remplacer les prestations sociales comme les allocations chômage, les aides au logement ou les pensions de retraite, ferait des perdants parmi les plus fragiles.
Il serait bon de s’interroger sur ce qu’est le travail
Car, comme l’a si bien dit François Lenglet dans son intervention au journal télévisé, le revenu de base est certes « une des rares idées qui permet de réconcilier la gauche et les libéraux de droite ». Mais cela ne signifie pas que tous les partisans du revenu de base s’accordent sur la vision libérale de ce revenu. Il constituera sans aucun doute « un levier de réforme d’un État-providence » unanimement jugé « trop complexe et coûteux », mais très rares sont ses partisans qui, contrairement à la présentation succinte qu’en a fait François Lenglet, seraient prêts à accepter un démantèlement des prestations sociales contributives déjà citées…8
Quant à cette crainte récurrente du revenu de base qui inciterait à « ne plus travailler », il serait bon de lui faire face en s’interrogeant sur ce qu’est le travail. En apportant comme première réponse que le revenu de base donnerait à chacun des marges de manœuvre nouvelles pour choisir son travail sans être contraint à l’emploi salarié pour survivre. Un choix libre parmi toutes les activités qui, bien que non marchandes ou faiblement rémunératrices, sont indispensables à notre vie en société…
Enfin, le revenu de base peut se décliner sous de multiples formes prenant en compte la décroissance, le développement des monnaies locales, la création monétaire par assouplissement quantitatif pour le peuple… qui répondent à des visions de notre société fort différentes. C’est d’ailleurs la raison d’être du MFRB, organisation transpartisane, de regrouper tous les défenseurs du revenu de base, quelles que soient leurs propositions, pour défendre ensemble le concept humaniste du revenu de base et le rendre vivant dans notre société.
Puisque France 2 vient de nous prouver qu’il était possible de parler du revenu de base à une heure de grande écoute, pourquoi ne pas faire connaître ces différentes options dans une émission en prime-time en invitant au débat public ceux qui les défendent ? Au MFRB, nous sommes prêts à participer si MM. Pujadas et Lenglet nous en font la proposition. Chiche ?
[1]. Début à 12:06 pour un sujet en deux parties : un reportage en Finlande suivi d’une analyse de François Lenglet.
[2]. Données publiées sur Toute la télé.
[3]. Marc de Basquiat : Où France 2 critique l’initiative finlandaise.
[4]. Finland, a land of solutions Strategic Programme of Prime Minister Juha Sipilä’s Government 29 May 2015 (page 22).
[5]. Voir, par exemple, cet article de Renaud Février, dans le Nouvel Observateur du 15/05/2014.
[6]. Voir ici (3/09/2015).
[7]. BBC World Europe – 20/08/2015.
[8]. Op. cit. Marc de Basquiat : Où France 2 critique l’initiative finlandaise.
Crédit photo : France 2. DR.
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