Le revenu de base cristallise beaucoup de rêves pour une société meilleure, parfois irréalistes ou inconciliables. Passer à une proposition concrète est difficile. En effet, si le principe du revenu de base est simple, le système socio-fiscal français est enfermé dans le cercle vicieux d’une complexité croissante. Tout y est inter-dépendant. Les ajustements qui y sont apportés s’apparentent à de nouvelles rustines qui tentent de corriger les effets secondaires des précédentes… en alourdissant davantage l’édifice.
Marc de Basquiat s’est attaqué à ce défi d’abord dans sa thèse, puis dans une version jacobiniste-libérale du revenu de base, le Liber, publié conjointement avec Gaspard Koenig, de Génération Libre. En m’appuyant sur ces travaux et après trois ans de travail, j’arrive à une proposition que l’on pourrait appeler « noyau dur phase 1 » d’un revenu de base. C’est une version minimaliste dans plusieurs sens :
- Le montant retenu se borne à éviter des perdants parmi les plus pauvres.
- Le financement est assuré par les mécanismes fiscaux existants et préserve le maintien de l’équilibre budgétaire actuel de l’État.
- Les sujets techniquement indépendants, c’est-à-dire qu’il est possible de traiter avant ou après, sont exclus.
Le présent article n’est pas un résumé de ce travail, mais une invitation à prendre le temps d’en lire une présentation complète. Le revenu de base est un enjeu de société trop important pour le juger à partir de discours partiels ou partiaux, ou pire pour le voir détourné par des intérêts particuliers. Cela vaut la peine de faire un effort pour le comprendre.
Utopie ou statu quo ?
On oppose souvent les révolutionnaires utopistes à ceux qui acceptent la société telle qu’elle est. Mais les utopies ne font de mal à personne : elles n’ont aucune chance de se concrétiser. Par contre, la prise en compte de la réalité chiffrée conduit à poser des questions iconoclastes. Le pragmatisme est dérangeant. Voulons-nous réellement passer de l’opacité à la transparence et prendre ainsi le risque d’ouvrir des débats délicats ?
Parmi les sujets exclus du noyau dur, citons le chômage, les retraites, le logement, les niches fiscales, la dette, la taxation des patrimoines, le système monétaire, l’évasion fiscale, l’écologie, les inégalités… Cela ne veut pas dire qu’ils sont d’importance secondaire, mais qu’on peut s’y attaquer dès maintenant. Alors, pourquoi attendre le grand jour du revenu de base ?
Plus inhabituel encore, j’exprime l’avis que le choix du mode de financement du revenu de base est quasi « hors sujet ». Le principe de la non affectation des recettes aux dépenses est trop souvent perdu de vue. Le budget de l’État (et sa dette) est unique. La question de l’équilibre entre les différents types d’impôts – sur les revenus salariaux ou financiers, le patrimoine, la consommation, la pollution, les transactions financières… – se pose globalement, et non pas à propos d’une dépense particulière.
Quel montant ?
Le RSA d’un célibataire est de 524,16 € par mois début 2016. Il s’y ajoute la prime de Noël, soit un total mensualisé de 536,86 €. Bien que la CAF déduise un « forfait logement » de 62,90 € à 92 % des ayants-droit, nous considérons pour notre étude un revenu de base adulte de 550 € (base 2016 – 2017).
Pour les enfants, nous retenons 250 € jusqu’à 14 ans et 300 € au-delà. Le revenu de base enfant sera ainsi équivalent aux prestations actuelles, mais réparti un peu différemment au long de la vie des familles (le troisième enfant est actuellement beaucoup plus aidé que le premier).
Un changement systémique
Le fait que notre système socio-fiscal utilise à la fois la notion d’individu, de foyers fiscaux, de couple légal (marié ou pacsé), de concubin et de ménages fiscaux est une cause importante de sa complexité. Le caractère individuel du revenu de base est une forte évolution. Pour des raisons techniques, l’impôt sur le revenu devra aussi être individualisé. Logiquement, les autres dispositifs devraient suivre.
Un autre point important est la suppression de la majorité des tarifs sociaux différenciés selon les revenus (eau, gaz, électricité, téléphone, taxe d’habitation, cantines, transports…) au profit d’un tarif unique, éventuellement réduit du fait de subventions. On évitera ainsi des coûts de gestion importants au regard des montants en cause, le caractère infantilisant des aides en nature et l’opacité sur ce que chacun reçoit. Il importe à la fois de mettre en œuvre cette orientation au moment de l’introduction du revenu de base, pour éviter de donner l’habitude d’une « double manne », et d’y admettre certaines exceptions pour éviter une baisse du niveau de vie des plus pauvres. Pour dire les choses autrement, le système actuel consiste à donner des aides sur l’eau, l’électricité… et à les reprendre sous la forme d’un forfait logement. Cela n’a pas de sens.
Un petit nombre d’aides supérieures au revenu de base (personnes âgées, handicapés, foyers mono-parentaux) devront être recalibrées pour maintenir constant le revenu disponible des bénéficiaires.
Financement
Pour la modélisation, nous retenons la solution simple d’ajouter une « CSG bis » aux impôts existants. Elle a le mérite de permettre facilement le repérage des gagnants et des perdants : osons reconnaître que nous ne promettons pas le Père Noël pour tous, mais une redistribution exigeante.
Avec les montants indiqués, le budget annuel consacré au revenu de base est de 384 milliards. On économisera au moins 64 milliards d’aides qui disparaîtront. Les 320 milliards restant sont finançables par une CSG bis de 23,3 % sur tous les revenus bruts (assiette de 1450 milliards). Mais la grosse majorité de ce montant « restera dans la même poche ». Par exemple, un célibataire gagnant 2500 € par mois sera prélevé de 580 € et recevra 550 €. Des simulations – qu’il faudra affiner – montrent que les transferts réels des « perdants » vers les « gagnants » seraient inférieurs à 60 milliards.
Un point techniquement délicat concerne les réductions de cotisations sociales sur les bas salaires comme la réduction « Fillon » ou le CICE…). Ces réductions ont de nombreux effets pervers – trappe à pauvreté, optimisations malsaines… – et sont redondantes dans leur visée avec le revenu de base. Le document complet explique comment les faire disparaître. Hormis ce point, le scénario « noyau dur » ne change pas les cotisations sociales. Leur simplification, certes très souhaitable, n’appartient pas à ce sujet.
Gagnants et perdants
Outre certains oubliés des multiples dispositifs existants, comme par exemple les jeunes de 18 à 25 ans, les couples à bas revenus passeront de 1,5 RSA à 2 RdB et seront gagnants. Les personnes dont le revenu est élevé seront perdantes. Il y a donc bien une réduction des inégalités, mais pas dans le sens d’une augmentation générale du niveau de vie des plus pauvres.
Un bon deal doit être gagnants-gagnants. Quel avantage vont trouver les plus riches au revenu de base, puisque leurs revenus seront amputés ? D’une part, la simplification d’un système inutilement complexe va réduire les coûts de gestion. D’autre part, la pauvreté coûte cher à la société (maladies, délinquance…). Enfin, embaucher est aujourd’hui pour un employeur l’engagement de porter longtemps un lourd fardeau de contraintes. Le revenu de base, en prenant à sa charge une partie de ces contraintes, devrait permettre d’encourager les créations d’emplois, au bénéfice de tous. Poser cette question, c’est ouvrir le délicat débat sur le code du travail et le SMIC. L’enjeu est de réduire la hauteur du mur séparant les « exclus » en situation de précarité des « inclus » en CDI. Pour réussir, la culture de défiance, qui s’illustre dans la lutte des classes, devra céder la place à la confiance et au souci partagé du bien commun. C’est un beau challenge !
Un Revenu de Base, au service de quelles valeurs ?
Paradoxalement, cette question arrive à la fin. De quelles valeurs sont porteurs les changements techniques qui sont décrits ? Beaucoup pourraient bien ne pas y retrouver leurs rêves. Il faut humblement admettre que le revenu de base se limite à une organisation rationnelle de l’infrastructure macro-économique de notre système socio-fiscal. C’est à la fois beaucoup et insuffisant. Les progrès au niveau micro-économique et au niveau humain, comme l’éducation…, sont aussi essentiels.
La valeur qui émerge, c’est la simplification. Elle est porteuse de beaucoup plus que la réduction de coûts de gestion inutiles. Elle permet la compréhension de ce qui se passe, la transparence, un dialogue en vérité. Ou bien nous serons les bénéficiaires passifs d’une manne issue d’ordinateurs au fonctionnement obscur. Ou bien nous serons des citoyens participant à une vraie démocratie.
Si nous ne réagissons pas, le chemin restera celui d’une opacité croissante. Alors que la présentation des changements législatifs est flatteuse, se mettent en place des règles incompréhensibles, ineptes ou dont on suspecte qu’elles soient au service d’intérêts cachés. L’analyse de la nouvelle prime d’activité met en lumière ce dysfonctionnement, hélas généralisé. L’écart entre les discours et les faits augmente. Une nouvelle annonce chasse les mensonges précédents dans une fuite en avant éperdue pour tenter de cacher la vérité au malade.
C’est pourquoi le revenu de Base est une étape. Surmonter les obstacles et le réussir, c’est se mettre en route pour d’autres réformes et un monde meilleur.
Photo : The Environmental Blog – Flikr – Licence CC-NC-ND.
Ce travail s’appuie sur le concept de système socio-fiscal. Ce mélange entre protection sociale et fiscalité est source de confusion et constitue un contresens historique.
Le financement de la protection sociale mise en place en 1945 repose exclusivement sur les cotisations des bénéficiaires et cela fut ainsi jusque dans les années 70.
Je considère qu’il faut revenir à cet esprit et tout faire pour séparer nettement ce qui relève de la protection sociale (le Revenu de Base) qui doit être attachée à la personne indépendant de l’emploi et de la fiscalité (la fiscalité est un outil permettant de mettre en oeuvre des choix politiques). Dans la protection sociale il n’y a ni perdants, ni gagnants.
Par ailleurs, je suis évidemment favorable à la refonte complète du système fiscal qui ne doit pas interférer avec le budget de la protection sociale (en particulier au lieu de créer une “CSG bis” il faut supprimer la CSG ( je rappelle qu’une cotisation ouvre un droit ce qui n’est pas le cas de l’impôt)
Effectivement, c’est une question importante. Lionel Stoléru regrette beaucoup que le RMI / RSA ait été mis dans le social et non pas dans le fiscal. Pour lui, le RdB est du domaine fiscal.
Pour moi aussi, à la fois pour éviter la stigmatisation associée à ce qui est « aide sociale » et pour confier à Bercy ce qui est redistribution « macro-économique » (systématique, non personnalisée).
La CAF et les collectivités locales ont vocation à gérer ce qui est personnalisé (handicap par exemple).
Je n’ai pas compris la remarque « Dans la protection sociale il n’y a ni perdants, ni gagnants ». La distinction pertinente est entre d’une part ce qui est contributif ou assurantiel (cotisations ouvrant un droit lié au montant de la cotisation – c’est le cas de la plus grande part des cotisations retraite et chômage), et d’autre part ce qui est non contributif et s’apparente à un impôt (CSG santé par exemple : ceux qui cotisent beaucoup ne sont pas mieux soignés).
La réalité d’aujourd’hui, issue de notre histoire, est loin d’être claire et rationnelle.
Pour aller plus loin dans le débat sur la « refonte complète du système », il faudrait proposer un scénario détaillé différent de celui que je propose, pour les comparer.
[…] LIRE L’ARTICLE INTÉGRAL SUR REVENU DE BASE […]
[…] Source : https://www.revenudebase.info/2016/01/30/revenu-de-base-du-reve-a-projet-concret/ […]
Bonjour. j’ai 2 questions : il parait en effet opportun de supprimer le plus possible les frais de gestion, puisqu’il n’y aurait plus qu’un seul guichet, mais quid des personnes qui travaillent pour les autres guichets qui seront fermés ? 2° question : étant donné que les entreprises, et même les employés, via les cotisations sociales, financent aujourd’hui un certain nombre d’actions de protection sociale ( mais je n’ai pas les chiffres) , ne peut on pas envisager, si elles n’ont plus à les financer, qu’elles participent à la place au financement du Revenu de base ? Ou c’est déjà inclus dans le calcul ?