Le 7 novembre dernier, LeMonde.fr publiait notre réponse à la tribune de Jean-Marie Harribey contre le revenu universel. Jean-Marie Harribey a continué la discussion sur son blog. Profitons des colonnes de vps286884.ovh.net pour lui répondre et pour préciser notre propos.
Jean-Marie Harribey rejette les justifications d’un revenu universel à partir de trois arguments. Pour lui, l’augmentation des profits tient uniquement à une augmentation de l’exploitation du travail et il rejette le rôle de l’automatisation. Par ailleurs, alors que je justifie le revenu universel comme la redistribution à tous d’une rente associée à notre patrimoine industriel et intellectuel qui nous rend tous plus productifs, il réfute l’hypothèse qu’il puisse y avoir une partie de rente dans la rémunération du travail comme du capital. Enfin, alors que j’estime que le revenu universel peut être générateur de travail et d’activités vecteurs de richesse, Jean-Marie Harribey l’idée qu’il puisse y avoir rémunération pour un travail qui n’aurait pas été “validé socialement”.
Je tâcherai ici de répondre point par point aux contre-arguments de Jean-Marie Harribey.
Le rôle de l’automatisation dans l’explosion des profits
Le premier point sur lequel nous divergeons avec Jean-Marie Haribey, c’est sur l’origine de l’augmentation des profits de certaines entreprises. Pour Jean-Marie Harribey, les profits augmentent du fait d’une exploitation plus grande de la force de travail par le capital, et il faudrait donc favoriser une hausse des salaires pour réduire les profits.
Il est vrai qu’une part non-négligeable des profits extraits par les multinationales est liée à l’exploitation d’une main d’œuvre incapable de faire valoir ses droits – notamment en Asie – et à la mise en concurrence mondiale des travailleurs. Mais une part au moins aussi élevée est liée à l’automatisation – c’est-à-dire à l’utilisation de machines et de logiciels qui permettent de se passer de travail humain tant dans les usines que dans les bureaux1.
Durant les Trente Glorieuses, l’automatisation allait de pair avec une hausse des besoins en main d’œuvre dans les usines, si bien que les travailleurs pouvaient exiger une hausse de salaire proportionnelle à la hausse de productivité permise par la machine. Mais aujourd’hui, la machine et le logiciel opèrent d’une manière de plus en plus automatique, remplaçant purement et simplement les tâches de travail les plus répétitives.
Seuls certains travailleurs très qualifiés, en amont et en aval de la phase de production, voient leurs salaires augmenter avec l’automatisation : ingénieurs, designers, techniciens spécialisés, publicitaires, chargés de marketing, etc. La majorité des autres travailleurs sont chassés de l’usine et sont condamnés à trouver des emplois dans des activités de service aux ménages où les salaires sont plus bas parce que la valorisation du service y est plus faible.
Dès lors, la lutte pour donner au travailleur une part plus grande ne permettra pas de mieux répartir le supplément de revenus associé à l’automatisation, « dans la mesure où justement les travailleurs eux-mêmes deviennent de moins en moins nombreux, et cela précisément dans les secteurs où l’automatisation a fait son œuvre »2.
L’impensé de la rente
Par ailleurs, pour Jean-Marie Harribey, le revenu universel ne peut être une rente associée à un patrimoine collectif puisqu’il ne peut y avoir de rémunération qu’associée à un travail. « La rente est une part du fruit du travail effectué sur la terre. Une rente monétaire n’est pas “produite” par la terre », nous dit-il.
Et pourtant, on sait bien que le même travail sur une terre aride ne portera pas autant de fruits que sur une terre fertile. Et l’on sait depuis Ricardo que dans une économie où la terre est propriété lucrative, le propriétaire foncier pourra exiger de l’exploitant agricole une rente différentielle croissante avec la fertilité relative de sa terre.
On peut remettre en question la légitimité de l’appropriation privée sous forme de rente de ce surplus productif, mais on ne peut remettre en question le fait que certaines terres sont plus productives que d’autres et qu’elles permettent ainsi de tirer un produit supérieur. La collectivisation des terres n’étant pas à l’ordre du jour lors de la Révolution Française, Thomas Paine a plaidé pour une meilleure répartition de cette rente agraire.
Aujourd’hui, quand les machines et les logiciels produisent sans travailleurs ou très peu, on peut aussi dire qu’il y a une rente qui se forme, puisque le même effort de travail dans une entreprise qui profite de l’automatisation – automatisation qui lui permet souvent d’acquérir des positions de monopole – ne crée pas autant de valeur que dans une entreprise qui n’en profite pas. Cette rente est répartie entre les propriétaires des quelques entreprises qui profitent le plus de l’automatisation et les quelques travailleurs dont nous avons parlé plus haut.
Pour les propriétaires des entreprises innovantes, on pourrait penser qu’il s’agit d’une rente technologique qui disparaîtrait une fois que les concurrents auraient imité l’innovation. Cependant, dans l’économie des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), comme dans celle des logiciels, la concurrence ne permet plus d’atténuer ces rentes technologiques. Les NTIC sont un secteur où le premier arrivé remporte toute la mise et peut maintenir un monopole durable : il n’y aura pas de concurrent crédible à Amazon ou Facebook parce qu’ils agissent sur des industries de réseau où le monopole naturel est plus efficace. De même dans le domaine des logiciels, une fois l’innovation faite, les coûts de reproduction sont nuls – le coût marginal est nul, nous dirait Jeremy Rifkin – ce qui permet à celui qui a proposé la meilleure innovation de remporter le marché dans sa totalité : « the winner takes all »3. On doit donc bel et bien parler de rentes au sujet des profits mirobolants que tirent ces oligopoles du web, ces fournisseurs de logiciels et autres entreprises qui tirent le profit maximal de l’automatisation.
Mais la rente associée à l’automatisation ne profite pas qu’aux propriétaires de ces dernières. Elle profite aussi aux travailleurs qualifiés qui se trouvent aux postes clés de la nouvelle organisation productive (ingénierie, conception, design, commercialisation marketing, finance). Le discours économique dominant utilise l’expression très neutre de « progrès technique biaisé en faveur du travail qualifié » pour expliquer la hausse de leur rémunération, et ce pour laisser entendre que cette rémunération supérieure est avant tout liée à leur qualification supérieure. Pourtant il faut bel et bien parler d’une rente de situation.
En effet, pour ces travailleurs, la qualification et le mérite ne sauraient justifier que pour partie la hausse de leur rémunération. Une part importante de ces sur-rémunérations est une rente associée à une position de travail qui bénéficie particulièrement de l’automatisation. Or, il n’y a aucune raison que cette rente de l’automatisation ne profite pas à tous, et c’est une justification supplémentaire au revenu universel.
« Ce qui est à l’œuvre dans [l’automatisation], c’est la science et l’invention de milliers d’hommes, dont la plupart sont morts depuis longtemps, et qui n’ont légué à personne leurs découvertes, si ce n’est aux générations suivantes en général. C’est cet héritage collectif qui fructifie pour l’essentiel dans le travail des machines. Or, quelle raison aurions-nous de le partager selon une autre formule que celle de l’égalité ? Et si nous y avons également droit, il faut trouver le dispositif par lequel nos revenus peuvent nous être remis. Et voici comment nous tombons sur l’idée du revenu universel, sans avoir cherché à en faire un moyen de charité particulièrement poli à l’égard de ceux de ses bénéficiaires qui en ont besoin » (Gilbert Boss, 2000).
Le revenu universel comme politique générative4
Dans le même esprit que James Meade ou Yoland Bresson, je justifie le revenu universel d’abord comme une rente issue du patrimoine industriel et scientifique collectif, patrimoine qui rend tout un chacun plus productif. Pour Jean-Marie Harribey, tout revenu doit être associé à un travail. Ainsi, nous partons donc de deux positionnements théoriques difficilement conciliables.
Mais il y a un autre élément qui me sépare de Jean-Marie Harribey. Comme le présentait André Gorz, le revenu universel est aussi une politique générative : en transformant les gains de productivité en supplément d’autonomie pour tous, il leur donne les moyens de développer de nouveaux projets et de nouvelles richesses, marchandes ou non.
Or Jean-Marie Harribey estime non seulement que toute rémunération doit être associée à un travail, mais aussi que la rémunération d’un travail n’a de sens que si elle traduit une validation sociale de ce travail, que ce soit par le mécanisme du marché ou par la collectivité (État, collectivités locales, associations). Le salaire est justement cette “sanction” qui sert de validation sociale, par opposition au revenu universel.
Ainsi il refuse un revenu universel qui offrirait à chacun la possibilité de définir par lui-même ce qui est utile à la société en l’affranchissant de toute nécessité de validation monétaire. Selon lui, le revenu universel aurait pour objectif de permettre à un plus grand nombre d’individus d’échapper totalement aux rapports d’échanges constitués notamment par l’emploi. Il serait alors logique de rejeter cette proposition car elle n’aurait pour effet que de diviser notre société en deux, entre les inclus et les exclus de la société de l’emploi. Il faudrait au contraire viser le plein emploi, c’est-à-dire l’inclusion de tous dans la société salariale.
En préalable à ma réponse à Jean-Marie Harribey, il me faut préciser le sens que nous donnons au revenu universel. Nous avons dit que le revenu universel avait deux effets positifs qui renforcent nos raisons de plaider en sa faveur5 : d’une part celui de favoriser le développement de projets qu’aucune banque ou collectivité serait prête à subventionner, d’autre part de favoriser des modes d’échange gratuit, notamment d’échange de connaissances.
Ainsi, suivant notre premier argument, nous ne remettons pas en question l’idée que la validation sociale des activités par le salaire ou toute autre rémunération dédiée constitue un vecteur puissant de reconnaissance et d’intégration sociales, même si elle n’est pas le seul. Et bien loin de nous l’idée de dire que l’emploi – salarié ou indépendant – disparaîtra du fait de l’automatisation. Les défenseurs du revenu universel ne pensent pas cela : preuve en est que ce sont souvent les mêmes qui défendent les monnaies complémentaires, validant ainsi la logique de l’échange monétisé.
Ce que souhaitent les défenseurs du revenu universel, c’est de l’autonomie supplémentaire donnée à chacun pour mieux définir son travail, ce qui n’exclut pas qu’une rémunération (sous la forme de vente d’un service ou de subvention) puisse sanctionner ce nouveau projet une fois qu’il sera achevé. Ainsi, contrairement à ce que développe Harribey, le revenu universel n’intervient pas comme un auto-validant de leurs projets par les individus eux-mêmes, mais il s’insère en amont dans le processus qui pourra conduire ensuite à une validation par le marché ou par la collectivité (État, collectivité et sphère associative).
Ceci est le principe même de l’initiative créatrice que le marché, comme le pouvoir politique, ne permettent pas toujours. En effet, Jan Koum a fondé Whatts’App alors qu’il vivait de l’aide sociale. De même, Abdel Raouf Dafri a écrit le scénario du film « Un prophète » (Palme d’or 2009 au festival de Cannes) alors qu’il était au RMI. Sans ces revenus d’autonomie qui malheureusement ont encore un statut d’ « aide sociale », combien de projets et d’innovations n’auraient pas vu le jour ? Et combien de projets n’ont pas vu le jour parce que leur porteur n’a pas osé solliciter un RSA bien trop stigmatisant ?
Il faut ajouter que dans l’économie des NTIC, comme dans le marché de l’art, la validation sociale de l’activité, c’est-à-dire la rémunération, est très hasardeuse. Il faut donc bien un coup de pouce, qui sert aussi de filet de sécurité, pour permettre l’essor de cette économie qui, même quand elle finit par un échec commercial, participe toujours à la création de richesse quand ce n’est pas de valeur6.
Il faut aussi favoriser l’initiative créatrice dans le champs des projets associatifs – que selon Harribey, nous aurions évacué du champs des collectivités à même de valider une activité sociale. Effectivement, les associations peuvent porter des projets indépendamment du marché ou du pouvoir politique. Mais aujourd’hui, la plupart d’entre elles sont entièrement dépendantes de subventions publiques et sont ainsi bien souvent subordonnées au pouvoir politique, si bien que de nombreux projets associatifs ne voient pas le jour. Un revenu universel permettrait de renforcer l’investissement associatif des citoyens et permettrait l’émergence de projets multiples sans qu’il y ait nécessairement validation en amont par le pouvoir politique.
En restant accroché au dogme suivant lequel tout revenu doit être associé à un travail validé soit par le marché, soit par la collectivité, Jean-Marie Harribey s’interdit de voir le potentiel de libération du travail et de développement de richesses nouvelles (marchandes ou non) que permettrait le revenu de base.
L’héritage de Polanyi
Si le revenu universel permet de donner à chacun à chacun un supplément d’autonomie pour développer, individuellement ou collectivement, des projets qui pourront éventuellement être validés a posteriori par le marché ou par la collectivité, ce n’est pas son seul intérêt. Il donne aussi l’autonomie à chacun de s’investir dans des échanges démonétisés, « sans exigence de contrepartie », tout comme le revenu de base.
Il est à ce titre surprenant que Jean-Marie Harribey qui se revendique de l’héritage de Karl Polanyi, nous en exclut par la même occasion7, alors même que le revenu universel constitue un frein à la marchandisation croissante des activités sociales. Ce que Polanyi dénonçait, c’est la transformation du travail en marchandise. Dès lors que les paysans ont été évincés des terres qu’ils cultivaient, ils ont été obligés de vendre leur force de travail pour survivre. Cette « grande transformation » a eu lieu, si bien que l’emploi représente aujourd’hui une forme dominante de travail social.
Mais il existe des champs d’activité dans lequel le travail est encore une activité majoritairement libre, par exemple le digital labor ou certaines activités associatives. Si l’on ne donne pas à tous un revenu d’autonomie, alors la tentation de transformer le travail digital aujourd’hui libre en marchandise va être grande. Et c’est l’appauvrissement des échanges qui s’ensuivra.
Le revenu universel pourrait même éventuellement favoriser le redéploiement d’activités démonétisées qui feraient directement concurrence à leurs versions marchandes. Comme le dirait Philippe Van Parijs, le revenu universel est une politique qui favorise le développement de la sphère autonome des activités démonétisées, au détriment de la sphère marchande. Quoi qu’il en soit, la frontière qui sépare la sphère des échanges monétisées et la sphère de la gratuité est amenée à se déplacer, et il est impossible d’anticiper les poids respectifs que prendront le travail rémunéré et le travail non-rémunéré à l’avenir.
Le plein emploi, ce serait bien, seulement…
Nous partageons certainement avec Jean-Marie Harribey le même idéal de société où l’intégration de tous est double : à la fois dans le monde de l’emploi mais aussi dans la participation à la sphère des échanges non-monétisés ou très peu. Les « Trente Glorieuses » peuvent servir de référence à cet idéal dans la mesure où les ouvriers étaient à la fois intégrés dans les usines – où le travail était quand même dur et dépourvu d’autonomie – mais aussi en-dehors des usines dans le dense tissu associatif qui caractérisait notamment les villes ouvrières. Nous partageons aussi cet idéal gorzien de réappropriation du travail et de son sens par les travailleurs – et là, pour le coup, les Trente Glorieuses seraient plutôt un contre-exemple.
Cependant, nous divergeons sur les moyens de parvenir à cet idéal. Pour Jean-Marie Harribey, l’intégration à la sphère de l’emploi est un préalable, le mode d’intégration par excellence, prérequis à une intégration dans la sphère des activités démonétisées. Ainsi il estime que le partage du temps d’emploi – expression qui me semble préférable à celle de “partage du temps de travail” – serait un bon moyen de parvenir au plein emploi sans nécessairement convoquer la croissance économique et la marchandisation croissante des activités qu’elle implique.
Quant à nous, nous sommes aussi désireux d’une meilleure répartition du temps de l’emploi – et d’ailleurs le revenu universel est un outil qui peut favoriser la réduction volontaire du temps d’emploi, ou même être complémentaire de politiques visant la réduction du temps d’emploi8. Mais il faut bien admettre que l’emploi n’est pas une masse uniforme d’heures qu’il suffirait de répartir. En effet, comme le montre Carlo Vercellone, dans le capitalisme contemporain, le travail devient de plus en plus cognitif , il est associé à des responsabilités attachées à une personne et il est donc beaucoup plus difficilement sécable, divisible entre des individus. En outre, comme nous l’avons vu, la frontière entre travail rémunéré et travail non-rémunéré peut très bien se déplacer sous l’effet de développement des projets alternatifs, ce qui rend l’analyse en terme de partage du travail rémunéré inopérante.
Ainsi, au contraire de Jean-Marie Harribey, nous pensons que les échanges gratuits et la participation à des projets démonétisés ne sont pas des formes d’intégration sociale inférieures à l’emploi. Nous pensons même que l’intégration dans la sphère des activités démonétisées joue un rôle de plus en plus fondamental et peut bien souvent servir de prérequis à une bonne intégration dans la sphère de l’emploi. En témoignent les formes d’organisation même du Mouvement Français pour un Revenu de Base, où de nombreux jeunes bénévoles, souvent diplômés, s’investissent non pas parce qu’ils ne trouvent pas un emploi, mais parce qu’ils souhaitent avant tout participer à un projet en lequel ils croient, une expérience qui leur permet aussi de se former à tous les métiers du militantisme, de la communication et de l’organisation d’événement, et probablement une expérience qui gonflera leur CV et les rendra beaucoup plus « employables »… s’ils ont seulement le désir d’être employés.
C’est pourquoi il nous semble que, quand bien même l’intégration du plus grand nombre dans la sphère de l’emploi (salarié ou non) est un objectif louable, elle ne peut plus être la priorité unique et le prérequis incontournable pour atteindre une société bonne. Au contraire, nous estimons qu’accroître l’autonomie des citoyens, par un accès de tous à la formation, aux services publics et par la mise en place d’un revenu universel, est réellement le prérequis pour un réel développement des richesses, marchandes ou non.
Crédit photos : CC Thierry Ehrmann ; Ivan Constantin ; Réseau du Retz’l ; John Vratsinas ; Rolf van Melis
1 Selon deux chercheurs de Harvard, 47% des emplois américains pourraient être remplacés d’ici 20 ans par des machines ou des logiciels. Dans le même ordre d’idée, le cabinet Roland Berger a réalisé une étude estimant que 3 millions d’emplois sont menacés par l’automatisation en France d’ici 2025.
2 Gilbert Boss, « Justification d’un revenu universel », Multitudes.
3 Comme le note Hakim El Karoui à la suite de la publication d’une étude de Roland Berger, « l’économie du numérique crée (…) peu d’emplois. (…) C’est une économie très inégalitaire, même si tout le monde peut se lancer à partir de zéro » (source : JDD)
4 Le titre original de la tribune pour LeMonde.fr devait être « Le revenu universel : rente issue du commun et politique générative », mais cette deuxième partie a été coupée.
5 Jean-Marie Harribey croit détecter dans ma justification du revenu universel entre l’idée suivant lequel le revenu universel favoriserait l’initiative de projets marchands ou non et le fait qu’émergent aussi des formes de travail non-rémunérées, alors qu’il s’agit de deux arguments différents. Soulignons qu’il ne s’agit pas ici de la justification du revenu universel, mais d’effets positifs que l’on peut en attendre et qui renforcent notre conviction qu’il faut plaider en sa faveur.
6 « Le marché des startups obéit bien souvent à un modèle « winner takes all » ; tous sont appelés mais peu seront élus… L’échec majoritaire est inhérent au marché de l’art comme au secteur numérique. Les artistes comme les artisans du numérique savent qu’ils travaillent sur un objet qui pourrait aussi bien valoir des millions que rien du tout à quantité de travail égale » (source)
7 On a envie de sortir que Kari Polanyi-Levitt, la fille de Karl Polanyi, défend le revenu de base. Mais il s’agit d’un mauvais argument d’autorité, d’une coquetterie que l’on ne peut que renvoyer à une note de bas de page.
8 Voir l’article de Jacques Berthillier, « Répartir les fruits du capital social collectif pour mieux répartir le travail »
Je vous remercie pour votre message.
Il confirme tout ce que je m’efforce de montrer depuis maintenant plus de vingt-cinq ans : les principaux intervenants favorables au revenu d’existence n’ont aucune théorie de la valeur et même ignorent ce qu’est la théorie de la valeur. Ils ne peuvent donc qu’échouer sur le rivage néoclassique.
De plus, votre message contient un contresens total sur ce que je dis du travail. Vous pouvez ne pas partager ce que je dis, mais au moins essayez de comprendre de quoi il s’agit.
1) La valeur
Puisque, d’une part, vous confondez richesse et valeur et puisque, d’autre part vous n’admettez pas le point central de l’économie politique et de sa critique marxienne, à savoir que seul le travail socialement validé crée de la valeur, il ne reste plus qu’à lire la page 223 (Ed. Payot, 1969) de la Théorie générale de Keynes, dans laquelle il fait la distinction entre le seul facteur productif et le cadre dans lequel celui-ci opère.
Vous verrez alors que l’automatisation sert à augmenter la productivité du travail, ce qui, sur le moyen et long terme… réduit la valeur unitaire des marchandises, tout en augmentant la valeur globale (croissance économique, en tout cas jusqu’à présent). C’est la même chose pour la connaissance.
Vous verrez aussi que la rente n’est pas quelque chose qui vient en plus de la valeur créée mais en est une part, et qu’un revenu n’est jamais un prélèvement sur un stock mais est un flux.
Vous vous référez à Bresson, mais sa théorie est un monument d’incohérence que je crois avoir démontrée (voir mon livre L’économie économe, 1997, ou bien http://harribey.u‑bordeaux4.fr/travaux/ouvrages/these-chapitre8.pdf), théorie qui aboutit à ce que le vie d’un Africain vaut moins (vaut moins !) que celle d’un Européen.
2) Le travail
Jamais je ne dis que le revenu est associé au travail. A l’échelle globale, tous les revenus sont engendrés par le travail, mais celui-ci n’en perçoit qu’une partie, les profits (tous les profits !) constituant le restant. D’ailleurs, deux de vos collègues (B. Mylondo et M. Lepesant) m’ont concédé ce point.
Evidemment, sans théorie de la valeur, il n’y a plus de théorie du profit, d’où la vacuité de la théorie néoclassique à laquelle aucun théoricien du revenu d’existence n’échappe.
Sauf Gorz qui, bien qu’ayant à la fin de sa vie adopté le revenu d’existence, conservait l’idée que c’était quand même le travail social qui engendrait tous les revenus.
Et il restait convaincu de la nécessité d’une validation sociale. Dès lors, l’idée d’inconditionnalité est un oxymore, qui consiste à penser que nous sommes tous des Robinson isolés chacun sur notre île, comme le croyait et l’a imposé Mme Thatcher.
Pour tous les autres arguments, je crois avoir déjà apporté quelques réponses. Je vous salue cordialement.
Jean-Marie Harribey