La preuve par l’expérimentation : Le revenu de base, un levier pour la transition écologique ?
Si je vous dis : « Vous allez recevoir un revenu chaque mois, sans rien faire, un socle de sécurité toute votre vie. »… Comment vous sentez-vous ?
Et si je vous dis : « Vous devez restreindre votre empreinte écologique, consommer moins pour éviter l’effondrement. » … Comment vous sentez-vous ?
Quel lien trouver entre une somme versée à chaque citoyen.ne, généreusement, sans conditions, … et ces restrictions que nous devons nous imposer pour réduire notre propre survie ?
Intuitivement, tout les oppose… et pourtant, les expérimentations montrent tout le contraire !
Oui, le versement d’un revenu de base accompagne la transition écologique ! Voici la preuve par l’expérience !
Soutenir ceux qui nous nourrissent
Le premier effet est évidemment d’offrir une sécurité financière et une vie décente aux agriculteurs et éleveurs qui consacrent leur vie à remplir notre assiette, souvent oubliés derrière les devantures garnies de nos supermarchés.
En France, on dénombre 1 suicide tous les 2 jours chez nos exploitants agricoles, sans compter les tumeurs, leucémies et autres atteintes à leur santé dues aux pesticides… situation insoluble tant qu’ils dépendront des choix de la Politique Agricole Commune qui, pour l’instant, ne soutient pas la transition vers une production plus écologique. Il nous faut aussi réduire leur vulnérabilité face à la volatilité des prix et des risques climatiques.
Avec un revenu de base, ils peuvent subvenir à leurs besoins dignement, négocier avec les centrales de transformation et de distribution, et même diversifier les activités au sein des fermes (transformation et vente sur place, tourisme et loisirs éducatifs, formations…). Bref, vivre leur métier en adéquation avec leurs valeurs… et leur santé. (1)
Dans toutes les expérimentations, le revenu de base impulse l’économie, et de façon encore plus efficace dans les territoires ruraux. Au Brésil comme en France, on assiste à la création d’emplois pérennes, dans une nouvelle dynamique locale respectueuse de l’environnement comme des humains.
Plus loin, en Inde ou en Afrique, les petits exploitants ont pu investir en devenant propriétaires de la terre qu’ils travaillent, mais aussi acheter des animaux et des graines fertiles (échappant à l’emprise de Monsanto).
Rendre notre écosystème humain durable
La société humaine est un écosystème où nous sommes interdépendants, la crise sanitaire nous l’a bien démontré : nous avons pris conscience que nous dépendions de professionnels pourtant mal rémunérés, dans le soin, la propreté … et la production agricole.
C’est pourquoi, nous devons assurer une répartition équitable des richesses et du pouvoir pour reconnaitre la diversité des personnes qui assure la résilience collective.
Ces versements inconditionnels apportent dignité et sécurité individuelles qui rejaillissent sur l’épanouissement de la communauté en termes de bien-être mais aussi de créativité et de prospérité. Ainsi circule l’économie, réelle, au sens premier du grec ancien oïkonomia, gestion de la maison… au service de l’humain et de la nature.
D’ailleurs, si 60 % des personnes interrogées sur ce qu’elles feraient avec leur revenu de base disent qu’elles continueraient leur emploi comme avant, 30 % disent qu’elles travailleraient différemment, moins, notamment pour varier leurs activités (2). Nous avons réitéré ce test auprès d’un grand nombre de Français et ce qui est frappant dans leurs réponses, c’est qu’elles vont toutes vers un alignement entre leurs valeurs et leurs activités.
Ce revenu se transforme souvent en gain de temps pour jardiner, cuisiner, aménager son logement, réparer, s’investir dans des associations, lancer un projet alternatif, habiter en campagne, acheter en circuits courts, AMAP, SELs, ressourceries…
Bref, participer à la transition écologique en développant des modes de production, de consommation, de partage… qui satisferont de nombreux besoins matériels et sociaux avec une consommation énergétique réduite.
Autre effet du revenu de base qui promet un rééquilibrage entre les humains et l’écosystème naturel, une baisse du taux de natalité :
- dans des pays où les enfants sont le bâton de vieillesse des parents, par manque de protection sociale comme des retraites, le revenu de base retire cette charge à la génération suivante et pour les parents, chaque enfant est choisi en-dehors de la sécurité future.
- dans des pays comme la France où les allocations familiales peuvent assurer la subsistance d’une famille, elles peuvent aussi inciter à avoir plus d’enfants. On retrouve le même calcul dû à des situations de pauvreté et de précarité. Alors qu’au Canada, après 5ans d’expérimentation sur 463 000 habitants, on note que la moyenne d’âge du premier mariage s’est élevée tandis que le taux de natalité a baissé.
Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin d’une politique nataliste pour perpétuer notre espèce et même, nous serons sans doute amenés à partager les terres viables avec les migrations que nos pollutions provoquent. Alors dans un éco-système durable sur une planète finie, il faut s’interroger aussi sur notre croissance... démographique infinie.
De la peur de la surconsommation à l’audace de l’investissement.
Loin de la horde d’écrans plats ou de grosses cylindrées promises par les méfiants, les nombreuses expérimentations à avoir observé les types de dépenses des bénéficiaires sont unanimes : le revenu de base est un investissement individuel, familial et sociétal.
Ce pouvoir d’achat supplémentaire permet de se procurer d’autres biens et services, souvent plus chers parce qu’ils proviennent de l’agriculture biologique ou d’entreprises où les employés sont correctement rémunérés. Mais il permet aussi de se projeter dans l’avenir avec des investissements à long terme comme un logement, une terre, un outil de travail…
Les personnes vivant dans une situation de pauvreté, de précarité, sont les championnes des économies, notamment énergétiques… mais elles le vivent souvent comme un manque et une source de stress qui abime leur santé et leur estime de soi. Quant à la consommation compulsive, elle est une réaction au manque de sécurité, à l’angoisse du lendemain et au présent vide de sens.
Nous résistons naturellement à une contrainte extérieure alors que nous sommes capables de relever de formidables défis quand ils ont du sens et qu’ils nous apportent appartenance, sentiment d’utilité, évolution et épanouissement...
La sobriété n’apporte du bonheur que quand elle est choisie.
Ce pouvoir d’achat, minimum mais garanti, offre en réalité un nouveau pouvoir d’agir et permet de prendre la responsabilité de ses propres besoins matériels… pour enfin profiter des besoins plus immatériels comme les liens, la culture… L’autonomie peut alors se conjuguer avec la coopération.
Dans les pays du sud, au Kénya, en Ouganda, en Inde ou au Brésil, les habitants ont d’abord acheté de la nourriture et ont payé les frais de scolarité et des vêtements pour leurs enfants car l’école y est rarement gratuite comme chez nous. Puis ils ont investi dans les outils de travail (animaux de ferme, achat de commerce, lancement de petites entreprises...) mais aussi dans le logement et les sanitaires (réparation des maisons, toits en métal…) ce qui leur a permis d’améliorer leurs conditions de vie et de santé. D’ailleurs, pendant le confinement, les populations engagées dans une expérimentation ont moins souffert de la faim et ont pu s’offrir des soins médicaux.
Ils ont pu aussi, au Kénya ou en Namibie, relancer une tontine collective, solidarité traditionnelle mise à mal par la pauvreté générale.
À Stockton, en Californie, des habitants reçoivent depuis 2019, 500 dollars par mois. Ce revenu, pourtant insuffisant pour vivre, a servi à payer : pour 40% de la nourriture, 24% pour d'autres produits du quotidien, 11% pour le règlement de factures et 9% pour acheter de l'essence, puis de façon plus négligeable : la réparation de véhicules, les consultations médicales, les frais éducatifs, voire les dons d'ordre caritatif. Moins de 1% pour l'alcool et/ou le tabac.
En France, les bénéficiaires du tirage au sort Mon Revenu de Base (1000 euros par mois pendant un an) ont investi dans le permis, la voiture, des travaux dans la maison… Ils ont aussi aidé leurs proches, fait la fête avec des amis et se sont offert ponctuellement le coiffeur et le restaurant.
Plus au nord, quelques sans-abri londoniens ont reçu 3000 livres, sans conditions. Seules 800 livres ont été dépensées en moyenne la 1ère année, avec l’achat d’un téléphone, un passeport, un dictionnaire…
Au Canada, une expérience similaire a donné l’équivalent de 4900 € à 50 personnes âgées de 19 à 64 ans sans domicile depuis peu et n'ayant ni problèmes mentaux, ni addiction.
En un an, elles ont dépensé l'argent en nourriture, loyer, transport et, surtout, en reprise de formation… et fait économiser $8,100 par personne pour l'état, en frais de suivi social et médical !
Et, surprise, les dépenses telles que drogue, tabac, alcool ont diminué d'environ 39% ! Comme en Caroline du Nord, où une expérimentation depuis 1996 sur 16 000 bénéficiaires a montré une chute de l'abus d'alcool et de drogue. Idem au Kénya, en Californie, au Brésil…
Quels financements et projets écologiques autour du revenu de base ?
Bien sûr, la transition écologique ne peut porter exclusivement sur les efforts individuels ni sur un revenu de base. Il faut un projet politique autour de cet outil pour, en parallèle, convertir notre production, nos mobilités, nos constructions… de façon systémique et durable.
Le financement est un choix significatif. Aujourd’hui, aucun état n’a construit sa fiscalité pour distribuer un revenu de base cotisé sur les revenus, le patrimoine, la consommation, les bénéfices ou autres… La plupart des expérimentations sont nourries pas des dons ou des portions ponctuelles de budgets publics. Quant aux taxes, elles ne sont pas toujours pérennes car elles ciblent souvent des usages que l’on voudrait voir se réduire : les produits polluants, la surconsommation d’eau, les transactions boursières…
Quelques exemples intéressants néanmoins.
En Iran, les citoyens résidents recevaient des bons alimentaires et avaient un accès quasi gratuit aux carburants, grâce à des subventions de l’état. Mais devant la fraude et le gâchis générés, le gouvernement a préféré consacrer 50 milliards de dollars, soit 15 % du PIB pour offrir à chacun.e environ 22% du salaire minimum sous forme de revenu de base et continue depuis 2010.
Cela pose les limites des dons en nature et des dérives possibles qu’un revenu en monnaie évite. On le voit aussi en Afrique où les versements sont réglés directement, par téléphone, sur le compte des bénéficiaires, ce qui contourne tous les circuits de corruption, endémique dans certains pays. La richesse est donc plus justement distribuée et offre, avec confiance, sécurité et libre-arbitre aux individus.
En Alaska, un fonds permanent a été créé en 1982 pour distribuer une partie du rendement de la rente pétrolière et minière aux 650 000 habitants. Ils reçoivent aujourd’hui environ 2000$ par an et malgré un montant insuffisant pour vivre, les effets sont nombreux.
Ce financement interroge car il peut être vu comme une paix écologique payée à peu de frais par l’entreprise exploitante qui ne s’occupe des dégâts sur la nature, ne serait-ce que des fuites des pipelines qui sillonnent le pays. Cependant, une autre gestion pourrait transformer cette richesse du sol comme un bien commun, administré par les citoyens qui profiteraient de tous les bénéfices (pour l’instant offert aux actionnaires) et qui, sans aucun doute, prendraient aussi soin de leur terre et du vivant sous toutes ses formes.
Plus vertueux, à Sherman County en Oregon, la municipalité distribue à chaque foyer $590 annuels depuis 2002, financés par les bénéfices des éoliennes installées sur la commune. Nous avons bien là un investissement collectif, une redistribution égalitaire et une gestion par les habitants : exemple d’un bien commun.
Plus proche de nous, la ville de Grande-Synthe dans le Nord de la France a rejoint le mouvement international des villes en transition et a choisi de refondre le budget municipal en réorientant certaines aides sociales et des taxes d’un complexe sidérurgique et en réalisant des économies structurelles sur le CCAS et l’éclairage public à hauteur de 2 millions d’euros / an. Ils financent aujourd’hui les transports publics gratuits pour tous sans conditions ainsi qu’un revenu complémentaire pour les 3 700 habitants qui vivent sous le « seuil de pauvreté bas ». Nous voyons donc que, malgré la limite du champ d’action municipal et de ses leviers de financements, des choix peuvent être posés, collectivement pour accompagner la transition écologique ET sociale.
Et les monnaies locales ?
Enfin, un mot rapide sur un autre levier de financement que nous développerons dans un autre article mais qui mérite une petite place ici : le financement en Monnaie Locale Citoyenne (3). Pour rappel, il s’agit d’une somme en euros conservée sur un compte et convertie en monnaie complémentaire, fondante et utilisable dans un bassin de vie défini et dans des commerces ciblés, par les citoyens eux-mêmes, pour leur plus-value sociale et écologique.
En Corée du Sud, toute la province de Gyeonggi expérimente le versement aux 170 000 jeunes de 24 ans de la région, l’équivalent de 190 euros par trimestre, en monnaie locale qui ne peut donc être utilisée que dans les petites entreprises locales. Les résultats en termes de lutte contre la pauvreté et de relance économique sont tels que le gouverneur a promis de le généraliser à tous les Coréens s'il était élu président au printemps 2022. Il financerait ce revenu de base grâce à des taxes écologiques, sur les robots et sur l’immobilier… à suivre.
Retour en France : le projet Tera s’est installé à Lartel, en Aquitaine et finance déjà 4 revenus de base depuis 2019, à hauteur de 856€ net mensuels, soit 1€ de plus que le seuil de pauvreté, répartis comme suit : 15 % en euros et 85 % en monnaie locale. Le financement est pérenne car il s’appuie sur la production locale (maraichage et pain bio ainsi que des formations à l’éco-construction). Cette nouvelle dynamique économique permet la création d’emplois « verts » et une meilleure cohésion sociale. Un comité scientifique régional suit le projet afin d’en faire une analyse mais aussi un schéma qui sera transférable et adaptable à d’autres communes rurales. A suivre aussi 🙂
Vous voyez bien que le revenu de base n’est pas une dépense déraisonnable mais bien un investissement qui sécurisera les citoyens tout au long de la transition que nous choisirons.
Bien des questions et des doutes persistent, mais a-t-on le temps de tergiverser ? Toutes ces expérimentations depuis les années 60’ prouvent que, grâce à un revenu de base, la confiance et la sécurité incitent à l’autonomie et la coopération. Cet outil est simple à instaurer, les possibilités de financement sont nombreuses… ne reste que notre imaginaire à déverrouiller, que nos peurs à apaiser, que notre interdépendance à vivre pleinement.
En tout cas, ne vous laissez plus enfermer par des choix entre l’écologie ou le social, le revenu de base ou des emplois verts… les 2 sont indissociables et complémentaires.
Nous pouvons même imaginer qu’un revenu de base permettrait aussi de réguler l’impact inégalitaire d’une politique de taxation des produits polluants ou importés de loin. Les Gilets Jaunes auraient-ils pu voir l’intérêt de taxer plus les carburants toxiques s’ils avaient eu suffisamment pour vivre par ailleurs ? Pour le savoir, il faudra réaliser d’autres expérimentations : rendez-vous sur ice.mfrb.fr et signez l’Initiative Citoyenne Européenne avant le 25 mars 2022 pour le savoir 😉
1 : discussion autour de l’instauration d’un revenu de base agricole : https://vimeo.com/228185795
2 : sondage en Allemagne en 2008 et en Suisse en 2016, 23’ https://www.youtube.com/watch?v=-cwdVDcm-Z0
3 : rapport sur l’impact des Monnaies Locales Citoyennes sur l’économie locale, sociale et solidaire : https://www.economie.gouv.fr/rapport-monnaies-locales-complementaires
Retrouvez toutes ces informations sur la Carte des expérimentations : https://framacarte.org/fr/map/experimentations-de-revenu-de-base_58126#3/30.30/14.24
… et d’autres arguments sur les liens étroits entre revenu de base et transition écologique dans notre plaidoyer à télécharger et partager sans modération sur : https://www.revenudebase.info/ressources/PlaidoyerTransitionMFRB2019.pdf
Initiative citoyenne européenne
Signons l’initiative citoyenne européenne pour un revenu de base inconditionnel et suffisant, devenons une force politique et pesons sur les élections en France de 2021 et 2022 en tant que citoyens électeurs.