Chapitre 1. Balade à Vélo
Arrivé par l’artère Nord, je déroulais mon pédalier vers le Soleil montant en descendant vers la parcelle de bois réservée à notre Cit’Comm, la communauté de cit’oyens nommée « Amoahi ». Je portais sur mon vélo tout le nécessaire au ramassage et au stockage des échantillons de graines et autres boutures que j’étais venu chercher à la source. Noswald, la forêt de notre Terra Mater, notre forêt, étendait ses frondes en périphérie de notre cité pour apporter protection contre vent et poussière. De même, elle fournissait la matière pour nos plantations. Ces arbres étaient entretenus, surveillés, choyés par la SylvaComm, l’équipe de cit’oyens dévoués aux végétaux ligneux. Haies, buissons fourragers ou fruitiers, arbres destinés à la construction ou au chauffage, toute leur gestion passait par cette équipe. De nombreuses autres activités avaient besoin de leurs prévisions et suivaient leur succession de travaux.
Je retrouvais Boris, adossé à un Acacia, en train de se frotter le front, maculé de sueur, avec sa casquette de marin-pêcheur délavée. Il venait de tracer un nouveau layon qui courait jusqu’à une petite clairière, permettant aux cit’oyens de notre communauté de pouvoir prélever des graines et boutures et ainsi être relié au cœur de notre forêt.
— Salut Boris !
— Yep Steph’, como vas ?
— Bien, je voudrais prélever quelques graines de Cornouiller, et de Sorbier. As-tu vu de nouveaux individus-mères ?
— Oh là oui, aujourd’hui on a mis à jour le côté Ouest de Noswald et y’a plein de nouvelles choses !
— Ah super ! Et tu as bien marqué les sites, on peut y aller ?
— Oui Steph ! Comme d’hab, la SylvaComm trace toujours le chemin ! Toutes les essences sont bien “étiquetées” et tu y trouveras un panneau peint par les gosses de l’école rappelant les quantités autorisées à chaque prélèvement. Ils viendront d’ailleurs chercher quelques reliques d’ici quelques semaines…
— Merci Boris et à toute pour le repas !
— Yes, ce midi je vais essayer la Roulotte d’Angèle ! Pleine de couleurs et de goûts !
— D’acc Boris, on se retrouve là-bas alors.
Je m’enfonçais alors sous les ossatures végétales, retrouvant l’ombre et la fraîcheur légère bien caractéristiques de cette moitié de printemps. En arrivant vers une clairière, je vois des Sorbiers tout juste en fleurs mais ils ne donneront pas leurs graines avant la fin de l’automne. Je cherche donc des jeunes plants ayant germé il y a peu de temps ou des baliveaux, me permettant de les mettre sous serre et suivre leur croissance. Semis et bouturage sont à mon programme cette année.
Effectivement, mon année ne se compose plus d’une succession d’allers et venues entre mon lieu d’habitation et mon lieu de travail, mais grâce au revenu de base je peux découper mon temps en accord avec mes idées, mes réflexions ou me laisser guider par mes curiosités. Toute notre Cit’Comm s’est construite sur le partage de l’espace et du temps, laissé libre après l’abandon du travail-esclave.
L’espace de notre cité se découpe en cercles concentriques : l’Agora au centre, puis vient le cercle d’habitations et de marchés, suivi par le cercle des productions et enfin se terminant par l’enceinte forestière ponctuée de trouées d’élevage. Des axes cardinaux structurent les déplacements massifs, entrecoupés de ruelles concentriques pour la flânerie et les relations vicinales. Deux fours solaires sont disposés aux entrées Nord et Sud et sont, bien sûr, ouverts à tous les habitants. En sortie des axes Est-Ouest se trouvent les points-relais où des véhicules électriques d’échanges légers, les VEEL, mélanges de bicyclettes et de voiturettes de golf alimentés par panneaux solaires, nous servent à échanger nos productions avec les communautés voisines. Leur souplesse et le réseau maillé qu’ils représentent en font un moyen efficace pour transporter les marchandises au-delà des 200 km, limite imposée par le développement de notre cité. Ils permettent aussi les échanges de quelques produits uniques fabriqués par les communautés voisines.
Je rentrais donc chez moi en passant par la rue des Colibris, dans le quartier des Co-emplois.
Chapitre 2. Travail et Soins
Le co-working est une façon d’aborder le travail, non plus en compétiteur mais en se partageant les tâches, en coopérant et en acceptant l’aide d’une ou plusieurs personnes sur un même projet. Qu’il s’agisse de construire un bâtiment commun ou d’élaborer des activités pour l’école de la forêt, chacun peut donner son sentiment sur ce qui lui semble acceptable ou pas. La décision finale est ensuite prise par le collège des sages, élu… enfin désigné pour 3 ans, et qui gère les affaires courantes de la communauté. Une réminiscence de kolkhoze russe sans le côté dictature…
Une de mes passions, entendez “travail” selon l’ancienne nomenclature, est d’associer des déchets métalliques avec des constructions organiques. Une table en bois avec une ossature et des pieds en métal par exemple, ou bien une chaise, construite depuis un amas de ferraille sur lequel vient pousser une glycine ou une vigne. Il faut travailler en parallèle, anticiper pour obtenir ces biens durables et solides, pratiquement indestructibles… Après déjeuner, je rejoins l’atelier Bois, qui ressemble plus à une serre qu’à une usine à la Chaplin, avec ses multiples plants d’essences forestières et de lianes qui prennent leur temps pour déployer leur bois.
Je retrouve David affairé à préparer des contenants en papier recyclé puis à les remplir de terre avec ses enfants, prêts à accueillir de nouvelles graines. Je lui remets mes jeunes semis prélevés ce matin et ensemble nous sélectionnons les plants qui iront rejoindre l’abri qui leur est réservé. Ces semis seront transplantés les années suivantes dans les allées non loin de là, puis finalement iront peut-être repeupler ou agrandir une parcelle forestière en périphérie.
Le soin et le respect apportés à ces végétaux nous confortent dans le fait que notre Cit’Comm est bel et bien un super-organisme allant du moindre filament de champignon aux vieillards qui s’activent encore dans cette serre. Nous croyons tous à l’équivalence des organismes, à la sensibilité du monde vivant, à la coopération pour le bien de tous et à la supériorité du temps long.
Le soin envers nos aînés est par conséquent inscrit dans nos activités. Je ne paie pas une auxiliaire de vie pour s’occuper de mes parents mais des cit’oyens qui ont la passion d’aider les plus âgés et vont d’eux-mêmes s’inscrire à l’atelier Ainés. Ils ne sont pas rémunérés pour cela, le Revenu de Base libère simplement leur côté altruiste. De cette façon, il y a toujours quelqu’un qui guide nos aînés vers une activité ludique ou créative, ce qui généralement servira aux plus jeunes. Je me souviens encore de Renée, la voisine de ma mère qui a brodé les serviettes de nos petits chérubins, ils étaient tous heureux d’avoir leur prénom sur leur serviette de cantine, ça oui, ils étaient fiers ! Et Renée aussi !
C’est aussi pour cela que la maison des anciens est proche de l’école. Chaque récréation apporte son lot de fluides vivifiants pour nos aînés. Les cris des bambins égaient leur longue contemplation quotidienne, plus ou moins volontaire, selon leur degré de dépendance. Pour les plus alertes d’entre eux, l’école leur donne un espace de contes et d’échanges. Un matin, c’est Dédé qui vient raconter la vie de ses parents vers 1986 dans l’Allemagne coupée en deux et donner un cours d’Histoire de façon intense et réaliste. Un après-midi, ce peut être Georgette qui viendra faire un récit d’une moisson mémorable, du temps d’avant les tracteurs, que lui a transmise sa grand-mère… Tout ceci permet de conserver des savoirs ancestraux, descriptions d’outils et de pratiques ou encore de vieilles recettes de cuisine. Chacun peut apporter son vécu aux autres, chacun emmagasinera des souvenirs qui lui permettront de se construire. Nous sommes bien tous liés, c’est plus qu’un constat…
Revenons sur mes activités. Pour faire fonctionner mes outils, scie, soudure…, j’ai besoin d’électricité. Nous avons collectivement installé des panneaux solaires qui nous permettent de capter et stocker l’énergie du Soleil. Je ne suis toujours pas convaincu par le stockage en batterie mais cela rend service quand même. Surtout pour la soudure, il faut beaucoup d’énergie…
Je planche sur un autre mécanisme de stockage d’énergie basé sur la physique ou plutôt sur une loi physique liant énergie potentielle et énergie cinétique. Deux citernes, une sur pilotis, une autre enterrée, qui sont reliées par une turbine. Un panneau solaire alimente une pompe qui monte l’eau dans la citerne haute. Puis quand l’eau s’écoule vers le bas, la turbine entre en jeu et recrée de l’électricité. Bien sûr, mécanisme utilisable quand on le décide ! Stockage en circuit fermé ! Mais à la nuit tombée, nous serions tout de même contraints par le volume d’eau de la citerne haute… Un dispositif à petite échelle pourrait facilement alimenter un foyer, avec une consommation raisonnable. Bon, c’est à méditer encore… J’y travaille…
D’autres spécialistes travaillent à l’atelier Vêtements pour la fabrication de laine cardée (directement issue de nos propres moutons), de feutre ; ou en utilisant du coton filé importé d’un village qui dispose d’une filature en bordure de Garonne.
Le temps choisi, grâce encore au Revenu de Base, permet de multiplier les ateliers entre les cit’oyens et la vie n’en est que plus agréable.
Chapitre 3. Culture-A-Culture
Donner de son temps, voilà l’important ! Un temps retrouvé d’abord. Un temps pour soi, avec des plages décidées pour la couture, la sieste, la lecture, la cuisine ou l’aide apportée aux autres. Puis une fois nos libertés assouvies, nous avons encore le temps de donner du temps pour la communauté et le bien commun. Il faut défricher ou planter une parcelle, un message est posté sur le calendrier de l’InterComm’ et hop, une foule volontaire se rassemble et œuvre aux tâches communes.
Le fort taux de participation est ancré dans les gènes de la cité. Au début, en 2023, les sages qui ont érigé cette communauté ont d’abord récompensé en biens matériels basiques mais utiles (tasses, assiettes, couvertures, plantes médicinales…) ceux qui participaient aux tâches communes utiles à toute la communauté. Petit à petit, l’ancienne culture de compétition s’est muée en culture de coopération, où ceux qui donnent pour le bien commun reçoivent plus que ceux qui attendent passivement de la communauté. Et ceci nous a menés, 45 ans plus tard, à l’acceptation sans faille du “vivre ensemble”.
À un tel point que nous n’avons pas de lieu d’enfermement.
Non, chaque conflit se règle par la négociation autour d’un verre de Kava, ou Piper methysticum, plante ancestralement répandue en Océanie et connue pour son effet anesthésiant et tranquillisant (on dit “myorelaxant” exactement !). Je suis devenu au fil des ans le gardien de cette ressource. Elle est produite ici, dans la zone de maraîchage commune, uniquement dans les serres les plus humides et ne sert pratiquement qu’à cela. Mes grand-parents ayant importé cette racine en France, on peut dire que ma famille est à l’origine de son usage dans la Cit’Comm Amoahi. Et je capitalise depuis plus de dix ans les résultats de sa culture sous nos climats. D’où mon rôle de “gardien”.
Lors de la négociation du Kava, les participants boivent ce breuvage fait de poudre végétale et d’eau, les griefs sont calmement exposés et le groupe Justice (pas ceux de la musique… ;-), élu pour deux ans, donne le bilan des concertations et la (ou les) résolution(s) à suivre par le “contrevenant”. Celles-ci sont ensuite publiées sur l’InterComm’ et chacun, de ce fait, aide le contrevenant à les respecter.
Cette culture de la coopération se poursuit du côté des productions agricoles. Les cit’oyens ont fortement développé l’aquaponie, culture maraîchère sur des bacs de pisciculture. La croissance des uns sert à la croissance des autres, et tout ça en boucle fermée. Installée sous des serres, supportant aussi des panneaux solaires, le contrôle de la température permet de forcer bien des cultures végétales et ainsi obtenir plusieurs récoltes par an. De nombreux jardins respectant les saisons sont toujours présents aussi, mais positionnés juste avant la ceinture forestière.
Un autre aspect collaboratif est la bibliothèque. Tous les cit’oyens y sont inscrits et elle sert aussi d’université. Un groupe Livres établit une liste d’achats trois fois par an et l’ensemble des livres sont stockés sous forme dématérialisée dans le serveur central de la bibliothèque. Littérature et livres à visée pratique sont répertoriés et consultables par tous. Véritable Babylone, la bibliothèque est un encouragement à découvrir l’autre et des sujets méconnus. Cette incitation à la curiosité est déjà présente dès le plus jeune âge puis entretenue au cours de la scolarité avec les TE, ou travaux exploratoires, que chaque professeur demande à ses élèves. Ainsi, chaque année, un élève devra puiser dans les richesses de la bibliothèque et exposer aux autres élèves de sa classe le fruit de son travail résumé sur le thème choisi. Le but étant bien sûr d’ouvrir le plus souvent sur un talent caché ou un apprentissage utile à tous.
La culture ainsi créée ne se résume pas à une liste exhaustive de savoirs mais bien plus à un panel d’idées plus ouvertes les unes que les autres et surtout à un débat et un partage de solutions. La culture du jeu, la culture musicale, la culture culinaire, toutes ces cultures se retrouvent centralisées au sein de la bibliothèque/médiathèque. Le serveur central permet aussi la diffusion en streaming et gratuitement d’une série de vidéos que chaque famille avait stockées depuis les années 2020. L’ensemble est ensuite partagé. Après élimination des doublons, notre Cit’Comm est riche de plus de 200 000 films et documentaires. Babel, Babylone, je vous dis…
Chapitre 4. Anne, Age et Zik
Pour aller un peu plus loin dans la structuration découlant de l’instauration du Revenu de Base, il faut encore parler de l’égalité ainsi créée. Les femmes et les hommes de notre Cit’Comm ne se jaugent plus sur une échelle de valeur liée à l’argent. Quelle que soit l’origine d’une personne, familiale, sociale, géographique, aucune discrimination n’est faite pour l’octroi du Revenu de Base. Une fois l’âge de 18 ans atteint, chaque cit’oyen d’Amoahi se voit verser une somme sur son compte Crédit et peut en disposer selon son envie. Toute personne, homme ou femme, a donc les mêmes chances de départ pour construire sa vie et développer ses compétences. La compétition pour amasser le plus grand nombre de “dollars” n’a plus aucune base sociale puisque vous êtes riche de la communauté bien plus que de votre total de crédit. Et ainsi, vos actions ou intérêts envers la communauté vous définissent plus que votre “salaire”…!
Je rejoins ce soir ma compagne, Anne, qui est chamane. Un rituel régulier est prodigué en zone forestière pour tous et pour notre terre. Elle va utiliser ses compétences musicales et sa sensibilité pour orienter la croissance des esprits (humains comme non-humains). Sa mélopée, héritée des chants Xinghu du Brésil, vous touche au cœur et vous fait ressentir les pulsations de notre engagement vers le Bien pour Tous. Une sorte de thérapie de positivisme qui attire le positif et le renvoie sur notre Cit’Comm.
En dehors de cela, son activité principale est d’être responsable, cette année encore, de l’espace consacré à notre culture de cannabis. La légalisation, il y a 40 ans, a permis de contrôler son évolution et de sélectionner des variétés. La plus performante produit des plants avec plus de Cannabidiol (CBD) que de Cannabinol (THC). De ce fait, la plante ne provoque plus trop d’effet planant, incompatible avec les activités de tous les jours, mais nous donne plutôt une jouissance de tous les instants, sans anxiété aucune. Grâce à celle-ci, de nombreuses maladies ont aussi été éradiquées. De nombreux cancers, l’épilepsie, la schizophrénie et même les syndromes autistiques ont diminué. Nos anciens ont droit aussi à leur part de traitement.
La distribution de cette ressource est faite dans les lieux de rencontres ouverts comme les parcs, stades et marchés. Le groupe Herbes est présent pour vous offrir le meilleur de leur sélection en fonction de votre usage : Récréatif, Créatif ou Médical. Les variétés développées depuis trente ans vous accompagnent dans votre sentiment du moment ou vers celui recherché. Et Anne est très forte dans cette sélection. On dirait qu’elle entend le souffle de la plante et comprend son inclination à être utilisée dans tel ou tel usage. Allez la voir de ma part, elle ne se trompe jamais !
La conséquence de l’utilisation des deux plantes citées auparavant est que notre population de cit’oyens est considérée comme artistiquement très douée. Pour la musique, les groupes sont innombrables, tout comme les styles, à tel point que des espaces dédiés ont dû être construits pour les répétitions et les concerts. Autant vous dire que les soirées estivales à l’Agora sont bien animées par cette passion du rythme !!
Pour les autres arts, peinture, sculpture, écriture et dessin, la succession d’expositions ou de lectures rythme cette fois nos soirées d’hiver. Nous sommes vraiment très riches sur Amoahi !!
Chapitre 5. Fin d’un Monde
Voilà, le constat est là ! Notre Cit’Comm est bel est bien autonome. Le groupe constitué par tous les habitants d’Amoahi rassemble tous les possibles. Chacun a de multiples activités, une vie riche de rencontres et d’échanges, et tout cela sans argent !
Ah oui, je ne vous l’avais pas dit ! À Amoahi, l’argent comme vous l’entendez, Banque centrale, taux d’investissement et prêts sur 20 ans, n’existe plus ! Nous avons l’Amo, notre monnaie locale qui ne s‘échange qu’entre nous. Enfin, on peut l’échanger avec les monnaies locales de nos cités voisines mais dans une certaine limite. La spéculation sur les matières premières… disparue. Les actions ou prises de participation sur des valeurs boursières… impossible.
Nous avons relocalisé notre investissement et nous mettons nos économies dans des biens durables, maisons, panneaux solaires, mais majoritairement dans la forêt. Noswald. Elle nous entoure et nous protège des agressions extérieures. Mais nous misons aussi sur les infrastructures vitales. L’eau, avec l’implantation de puits, pompes et réservoirs ; la nourriture avec la myriade de serres et de surfaces agricoles biologiques en périphérie d’Amoahi.
Nous avons banni la vitesse dans notre langage. Pas trop d’engrais car les plantes poussent trop vite… Pas de voiture, de bolide fonçant à vive allure, on prend le temps de se déplacer à vélo, ou à cheval pour les situations les plus “pressées” (il y en a encore), et apprécier notre environnement préservé. Plus de bruits parasites non plus… et l’air ! Que de bonnes bouffées d’air pur ! C’est aussi pour préserver notre temps. Temps d’Inspir, temps d’Expir… pfffoouuu …vivre longtemps…!
Dé-cérébralité et re-sensibilisation, nous ressentons plus que nous pensons. La lecture nous laisse des plages de réflexion, de construction d’idées que le débat nous permet ensuite d’éprouver. Un peu comme à Auroville, cité utopique en Inde au milieu du XXème siècle, qui nous a ouvert la voie, sans le côté “religieux” bouddhique mais bien avec son penchant spirituel basé sur une relation détendue, pacifiée, respectueuse de l’Homme envers la Nature. Nous sommes des particules de Nature et le Revenu de Base nous a offert le moyen de redécouvrir notre place parmi les vivants, de resserrer nos liens avec notre famille, nos voisins, nos concitoyens, et de considérer tous les êtres vivants comme nos égaux. Liberté, Egalité, Fraternité sont définitivement les piliers de la France.
durouseb@gmail.com
« Belle utopie écolo-baba-cool » soupirerait un soixante-huitard au look hippie défraîchi, en tirant sur son joint racorni, lui qui n’a finalement pas changé le monde…
Est-ce que le revenu universel de ce texte est financé par l’AMO, cette monnaie locale ? En cherchant à quoi l’on pouvait rapprocher le nom de cette communauté pittoresque j’ai trouvé plusieurs sites évoquant une… Association of Medical Officers of Asylums and Hospitals for the Insane (AMOAHI)… amusant, non ?
Comme souvent, dans les textes de fiction du site « revenudebase », le revenu universel n’est qu’un prétexte : la disparition du travail rémunéré, ici, est sensée déclencher une attitude positive, vertueuse, humaniste, altruiste, généralisée, qu’elle soit ou non sous l’emprise du cannabis. Comme si, d’un coup, parce qu’on recevait une confortable somme d’argent, on devenait systématiquement productif dans l’intérêt du bien commun ! Une mutation génétique en deux générations… qui éradiquerait tous les penchants malsains de l’être humain ? Finies la cupidité, la haine, la jalousie ?
L’intérêt du texte est la précision des détails de ce monde vertueux nimbé de la fumée apaisante de l’herbe qu’on brûle : le temps est ralenti, comme sous l’emprise de stupéfiants, puisque tout est concerté, dans la sagesse et l’échange permanent. Temps de la décision, temps de l’action juridique… car il y a quand même des … « contrevenants ». Ce mot sous-entend quand même que la perfection n’est pas encore de ce monde…
Bien sûr, les aspects bassement matériels de l’existence ne sont pas trop explicités : un jardin collectiviste, soumis aux aléas climatiques, suffit-il à nourrir une communauté, avec des graines sélectionnées dont le patrimoine génétique va s’épuiser ? D’où viennent les matériaux nécessaires pour les serres de l’aquaponie ? Taille des panneaux solaires pour transporter du poids sur des VEEL ? Comment sont produits et maintenus les ordinateurs ? Par quelles œuvres nouvelles est alimenté le serveur central de la bibliothèque ? Qui les crée, les finance, les choisit ? Qui rédige les lois, les fait appliquer, détecte que quelqu’un est … « contrevenant » ? Quelle énergie quand le ciel est sans soleil durablement ?
Il manque singulièrement, dans cette utopie, tout ce qui relève actuellement du service public : le personnel enseignant, médical, celui qui ramasse les ordures, nettoie les voieries, … comme s’il suffisait de mobiliser les vieux (les jeunes de 2022…) pour qu’ils transmettent aux enfants tous les savoirs utiles et la nécessité de remplir ses devoirs communautaires avant de réclamer des droits individuels ! Jusqu’à présent, dans notre civilisation hédoniste d’individus égocentrés, aucune pédagogie ne sait imposer l’altruisme à l’égoïsme.
Par souci de cohérence et de vraisemblance, on peut donc supposer qu’il s’agit d’une nouvelle civilisation qui prospère entre les décombres de l’ancienne, avec des survivants tous adeptes de la même cause, tous convertis à l’autosuffisance autarcique. Merci pour ce survol optimiste assez complet de ce que serait ce monde futur, où, d’ailleurs, le revenu de base et la monnaie ne sont qu’accessoires, tant de bons trocs et de bonnes volontés semblent suffire.